Guy Girard :

" J’ai commencé à peindre à l’âge de dix-huit ans, pour objectiver mon imaginaire, tourné le plus souvent vers la recherche du merveilleux. Quoique j’ai depuis ces tâtonnants débuts, expérimenté divers « styles », et diverses techniques d’approches de l’image surréelle, je n’ai jamais fondamentalement changé sur ce point : je suis un surréaliste qui peint (entre autres choses) et non pas un peintre qui fait de la « peinture surréaliste ».

Le surréalisme est à la fois une conception du monde et un mode d’action pour transformer la réalité si malmenée comme l’on sait par la civilisation capitaliste. Il développe donc des modes d’interprétation de nos rapports au réel qui mettent en évidence la pensée poétique généralement refoulée dans l’inconscient, et en s’interrogeant sur le fonctionnement de celle-ci, il constate l’importance des modes de pensée analogique et symbolique. Ceux-là même qui ont été privilégiés depuis l’antiquité par les divers ésotérismes qui se sont développés dans l’ombre des systèmes de pensée dominants, qu’ils soient philosophiques ou religieux. Alchimie, astrologie, kabbale, tarots, etc. qui sont sans doute tous branches diverses issues de la pensée magique des premiers peuples. Sans jamais accepter les finalités métaphysiques de celles-ci, le surréalisme reconnait dans leurs langages symboliques totalisants une subversion des rapports entre réel et imaginaire qui ne peut qu’alimenter son projet de donner forme sensible à un nouveau mythe émancipateur.

Dans la tradition ésotérique occidentale, le jeu de tarot, parfois dit tarot de Marseille, apparu à la fin du moyen-âge, constitue un remarquable « livre d’images », délivrant un enseignement initiatique. Chacune de ces images, dites arcanes majeurs, au nombre de 22, est une station symbolique, un moment figuré d’une quête dans les zones obscures de la psyché. A ce titre, comparaison peut être faite avec ce que crée à l’écoute de son inconscient un surréaliste, que ce soit par l’écriture d’un poème, la création d’un collage, d’un dessin, d’une peinture, etc. Et de même que les gravures des livres d’alchimie, les arcanes du tarot recèlent une mystérieuse beauté qui a stimulé l’imagination de nombreux surréalistes dans leurs peintures : Victor Brauner, Matta, Leonora Carrington, Martin Stejskal, etc. et bien sûr inspiré à André Breton son livre Arcane 17.

Depuis de nombreuses années, le jeu de tarot me fascine, m’interroge, et nourrit mon imaginaire : ainsi reviennent périodiquement dans mes propres images peintes des figures issues du tarot. C’est pourquoi, pour mettre en jeu le mystère des incursions de celles-ci dans ces expérimentations d’onirisme éveillé que pour moi sont mes peintures, j’ai peint ces derniers mois la série des 22 arcanes – pour ouvrir un nouvel aperçu sur l’utopique pays de Cocagne et provoquer quelque peu ce que l’on nomme le hasard. "

3 septembre 2021