EXPOSITION // POUSSÉE ONIRIQUE DANS LA DIAGONALE - OLIVIER ORUS
Entrée libre // tout public
du mercredi au lundi
14h à 19h & sur rdv
fermé tous les mardis
« Le visible n’est qu’un exemple du réel » -Paul Klee
Il y a plusieurs façons d’aborder le travail patient et lumineux d’Olivier Orus. Pour ceux qui ne connaissent pas son œuvre, il convient de recueillir quelques éléments extérieurs comme si l’on menait une enquête bien avant que l’œil ne voit ou ne sache ce qui doit être vu. Il s’agira avant tout de renifler, de sentir, de prendre des chemins possibles ou improbables, les plus extravagants parfois. Faire avec ce peu pour aller le plus loin possible.
D’abord, on peut s’amuser avec son nom.
Contrairement à l’utilisation qu’en font certains charlatans, l’homophonie ne recèle aucune vérité. Elle n’établit aucune loi. Elle s’entend comme une surprise phonique, une fausse correspondance où le hasard langagier n’a aucune consistance face au tissage du réel. La coïncidence reste la coïncidence.
Dès lors, il s’agit de se divertir et de se réjouir des accointances entre un dieu et un homme, entre une mythologie et des éléments biographiques.
Horus est l’appellation latine d’une des plus anciennes divinités égyptiennes, le dieu faucon, dont le nom signifie probablement « Celui qui est au-dessus » ou « Celui qui est lointain ». On l’appréhende aussi comme le faucon céleste dont l’œil droit serait le soleil et l’œil gauche la lune.
Quoiqu’ acrobatique et aventureuse, cette analogie nous permet de rendre autonome certaines qualités de l’œuvre et de l’homme. La notion de « lointain » chez Olivier Orus sera de nouveau à interroger, à entendre comme une dimension fondamentale qui irriguera tout le parcours du peintre.
D’autres chemins s’offrent à nous, sans doute plus concrets et immédiatement défrichables. Il suffit d’égrener les titres ou les thématiques qui accompagnent chaque exposition : Les branches désirantes, Grandeur nature, Feuilles et feuillets, Les arbres enveloppés, Murs et chuchotements, L’ombre portée des choses, Le fil sans fin, Capture du vide, Cartographie du végétal, Sous traits etc.
Dans cette précision du voir, quelque chose se décale, le matériel et l’immatériel, le devoir de précision et les lignes de fuite, la consistance d’un objet et les possibilités de son anéantissement, la proximité ou l’éloignement qui s’avèrent bien étranges pour authentifier ce que l’on croit comprendre des choses.
Dans l’introduction du catalogue « à géométrie variable », Jacques Donnefort-Paoletti évoquera justement la « concrétisation du flou par la précision de la touche ». Il demeure clair que pour Olivier Orus, nous transportons à l’intérieur de chaque certitude l’hypothèse de son inadéquation. L’interrogation commence là.
Sauver un objet, une parcelle du monde ne signifie pas les restituer tel qu’ils sont, un royaume fermé où la vraisemblance suffirait à peu de frais. Une nécessité taraude le fond des choses et contredit ce qui est du domaine du périssable. Sauver est à la fois extirper et réinvestir cette capacité à s’étonner, renouveler le pacte avec le quotidien. S’il y avait un départ dans le domaine du voir, une première marche, cela consisterait à privilégier l’incrédulité plutôt que l’immédiate croyance, une adhésion à une quelconque réalité ordonnée et construite. Dans l’œuvre d’Olivier Orus, une pudeur rigoureuse s’instaure et délite d’emblée notre aveugle connaissance. Chaque dessin, chaque tableau semble inaugural. La connivence qui s’installe est toujours interrogative.
De quel savoir serions-nous titulaires ?
Pour que les objets soient révélés, il faut qu’ils s’évadent de notre propre perception, qu’ils se dégagent de notre paresse, qu’ils réalisent ce qu’ils sont comme si le devoir d’une plume était de redevenir une plume, celui d’un coquillage un coquillage. Le monde est un avant monde. André Dhotel, dans la splendide étude qu’il consacra à Jean Follain, nous avertit de cet éveil permanent, de cette curiosité fixe qui existe en dehors de l’activité humaine.
« Enfin les choses immobiles sont elles-mêmes le décor, le signe infaillible d’une merveilleuse veillée au sein de cette nature perdue. »
Lorsque l’on s’approche et que l’on découvre les dessins et les tableaux d’Olivier Orus, l’idée de « merveilleuse veillée » prend toute son ampleur. Qui regarde ? Qui a regardé avant nous ?
Un dogme se renverse puisque nous sommes vus alors que notre prétention était de voir. Notre capacité perceptive et de sentir -si l’on en poussait le paroxysme- appartiendrait à un reflet. Nous serions l’objet de ce que nous voulons saisir.
Dès lors, nous exercerions une domination aveugle, malgré notre intéressement, envers un espace trop coutumier, autrement dit irréversiblement et inlassablement mis à notre disposition.
Cet égocentrisme, Olivier Orus s’en dédouane car le monde apparent est bien celui du surgissement, de cette fulguration lente qui est à la fois le mode de la saisie immédiate et celui de la durée.
D’autres formes d’accomplissement s’incarnent et échappent au rituel et à l’idéologie perceptive des hommes. Cependant la vision naïve et magique du paysage environnant n’est pas suffisante. Le monde ne contient pas le monde. Le traitement brut du réel doit être soumis à d’autres filtres pour que celui-ci s’embrase.
A ce stade-là, peut-être faut-il recourir à une sorte d’inventaire assez hétéroclite où les matériaux deviendraient non les objets mais le sujet-même de la peinture, où les moyens définiraient et porteraient déjà en eux la matérialité et le résultat de ce qui est recherché. Chez Olivier Orus, le travail sur la matérialité n’est pas à inventer, celle-ci est donnée et il suffit de la réorganiser. Ainsi, il est loisible de trouver pêle-mêle du sable ocre, noir ou blanc, de la terre, des cheveux, des bris de coquillages, des fils semblables à ceux des toiles d’araignée, des branches, des brins d’herbe pliés, de l’encre, de la colle, du papier à rouler, des morceaux de filet etc.
Olivier Orus ne choisit pas des objets finis. L’ombre des branches est plus importante que la présence de la branche. Elle interviendra à la manière d’un indicateur solaire, jouera avec le motif sur le sol. La matière parle, s’illumine, s’affronte autrement que ne le permet le cours des choses. Elle s’agence et agence un autre ordre.
Si le réel s’ouvre sur l’immanence, il faut donc qu’il réinscrive sa part de visibilité à partir d’une déflagration et d’une recomposition, véritable théorie démocritéenne où les atomes auraient la liberté de se réaliser en dehors des formes convenues ou prescrites.
De même si cette nouvelle disposition reprend la matérialité du monde au sens le plus minimal du terme, elle s’en détache non seulement par la forme mais incite aussi à réconcilier et à interroger deux dimensions fortement contradictoires : l’évanescence et l’extrême précision que suscite la mise en perspective de l’objet. La méticulosité du dessin, la perfection des traits, la justesse représentative, côtoient un espace beaucoup plus brutal ou violenté par l’épaisseur de la matière. Se profile une hésitation claire entre les deux dimensions inhérentes au tableau et un espace tridimensionnel qui irait vers la sculpture.
Chaque mode a son autonomie et chaque mode s’intercepte, s’interroge parfois au cœur d’une même toile. Plusieurs univers s’affrontent : par exemple, l’indéfinition qui est un principe de réalité chez Turner et l’œuvre ciselée d’un peintre japonais tel qu’un Ogota Kõrin ou un Sakai Hõitsu, ainsi que cet appel à l’art statuaire.
Une quête fragile et têtue témoigne du monde parcouru par Olivier Orus. Le réel est indice du réel, une ellipse, un point d’indication incandescent.
Nous sommes invités à vérifier d’étranges traces, comme ces ronds qui se transforment en des bogues de châtaignes douces à l’image des algues ou à des empreintes que laisseraient des verres
sur une table. Ces cercles magiques peuvent se muer selon les circonstances en un œil miraculeux ou à un étrange foyer délaissé par une tribu magdalénienne, quelquefois en un sexe féminin.
Dans un même temps, il est impossible d’expliquer les objets par leurs conditionnements. Ils sont autre chose que le rapport qu’ils instruisent entre eux car les rapports de contingence gomment le plus souvent leur bizarrerie, leur présence insolite, leur côté oraculaire. Ils ont d’abord affaire avec eux-mêmes. Leur modification interne ou leur précision calligraphique ne résout pas l’ensemble du problème.
Objets « totémiques » ou « japonisants » sont confrontés à leur bornage éblouissant. Jusqu’où peuvent-ils aller ? Ils semblent posséder « plus qu’eux » et leur devoir est de se confronter à ce qui les contient ou au contraire à ce qu’ils explorent, une excroissance qui nous permettrait de mieux les saisir en leur octroyant une globalité plus ample. L’alentour sera construit par ce qui s’échappe et parfois se dédouble ou alors par une implacable blancheur. Pour Olivier Orus, l’espace demeure toujours vacant. Il existe une possibilité d’être.
C’est en cela que les notions de « lointain » ou « de très proche » lorsqu’on aborde une de ses œuvres n’appartiennent pas à une unité temporelle mais bien à celle de l’espace, et surtout à la situation que l’on occupe dans l’espace. D’où l’on parle ? D’où l’on regarde ? Avec Olivier Orus, nous sommes à l’intérieur des choses. Paradoxalement, le « lointain » est un rapport d’immédiateté, une évidence. Un contre néant. Il correspond à cette soudaineté de l’or qui apparait sur une porte rouillée.
-Christian Viguié